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Dossier dans le Figaro du 16 Mai

mercredi 16 mai 2007, par Refus ADN

Prélèvements de salive : le front du refus s’organise

JEAN-MARC PHILIBERT.

Faucheurs d’OGM, manifestants anti-CPE ou nationalistes corses s’opposent de plus en plus souvent à un prélèvement ADN.

LORSQUE Vincent V. a vu débarquer les gendarmes à son domicile au début du mois, ce père de famille s’est dit que la leçon allait sûrement porter. Ses deux fils, âgés de 8 et 11 ans, venaient de se faire prendre la main dans le sac après avoir volé deux tamagotchis et deux balles rebondissantes dans un supermarché du Nord de la France. Nul doute, a-t-il songé, que la visite des forces de l’ordre aurait une vertu pédagogique de nature à recadrer ses enfants. Mais lorsqu’il a vu que les gendarmes entendaient sérieusement prélever l’ADN de ses fils pour les inscrire au fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), l’ambiance a pris une tout autre tournure.

Vincent V. a tout simplement refusé que ses enfants soient soumis à un prélèvement ADN et les forces de l’ordre ont fini par reculer devant l’ampleur médiatique prise par cette affaire.

Comme ce père de famille, de plus en plus de Français s’opposent à leur fichage génétique. Il faut dire que le Fnaeg, initialement ¬prévu pour les seuls délinquants sexuels, recueille désormais l’em¬preinte des auteurs de près de soixante délits différents, sans limite d’âge. Arracheur d’OGM, mani¬festants anti-CPE, « déboulonneurs » de publicité ou nationalistes corses... le nombre de refus de prélèvements a explosé depuis quelques mois. « Nous en avons nous-mêmes dénombré entre 400 et 500 qui sont passés devant les ¬tri¬bunaux », reconnaît Benjamin Deceu¬ninck, l’un des animateurs du collectif RefusADN. Le jeune homme de 26 ans, ex- « faucheur volontaire » en 2001, a lui-même été déféré devant le tribunal correctionnel d’Alès en août dernier pour avoir refusé de donner son ADN. Il contestait notamment le caractère rétroactif de la loi de 2003 étendant la liste des délits suscep¬tibles de faire l’objet d’un prélèvement.

L’inscription au fichier peut interdire certaines embauches

Pour ces militants, c’est d’abord cette rétroactivité qui pose problème. Mais pas seulement. L’extension du nombre de délits suscep¬tibles de faire l’objet d’un recueil d’ADN se heurte à l’incompréhension de nombre d’entre eux pour qui le Fnaeg reste avant tout un fichier destiné aux délinquants sexuels. Surtout, les empreintes génétiques sont conservées quarante ans.

Un délai qui fait d’autant plus peur que l’inscription au fichier peut interdire l’accès à un certain nombre de professions sensibles. Pour beaucoup, cela va trop loin alors que, depuis 2003, le relevé d’ADN se fait dès la garde à vue et non plus à l’issue d’une éventuelle condamnation.

Du côté des magistrats et des avocats, le ton est tout aussi cri¬tique. « Ce que nous dénonçons, c’est avant tout l’aspect dérogatoire que crée ce fichier », explique Hé¬lène Franco, la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature (SM). Pour elle, il y a désormais deux peines pour les justiciables : celle pour laquelle ils sont jugés et le prélèvement. « En cas de refus de ce prélèvement, prévient-elle, c’est l’ensemble des possibilités de réduction de peine qui s’envole. »

Jean-Yves H., étudiant, ne veut pas "figurer aux côtés des délinquants sexuels"

Lorsque Jean-Yves H. comparaît devant le tribunal correctionnel de Nanterre, le 4 juillet dernier, la France entière est suspendue aux exploits de Zinédine Zidane en Coupe du monde. L’étudiant, lui, a d’autres soucis. Deux jours plus tôt, il a eu une violente altercation avec son colocataire. « Il ne payait plus son loyer depuis plusieurs mois. Je l’ai menacé avec un pistolet à plombs », reconnaît l’étudiant en maîtrise de gestion qui n’a jamais eu affaire à la justice.

Le colocataire porte plainte, la police procède à l’arrestation de Jean-Yves H. qui, après sa garde à vue, est mis en examen pour « violence volontaire avec arme de septième catégorie ». Un délit dont les auteurs présumés doivent, depuis 2003, subir un prélèvement ADN.

Le jeune homme refuse de s’y soumettre. « Je ne savais pas que le fichier des empreintes génétiques avait été étendu. Je pensais qu’il était réservé aux délinquants sexuels. Il était hors de question que je figure à leurs côtés », se défend-il aujourd’hui.

Malgré deux nuits en cellule, il ne plie pas. « Quelques semaines plus tard, raconte-t-il, j’ai écopé d’un an avec sursis et 2 000 eu¬ros de dommages et intérêts dans le cadre de mon conflit de voisinage et de 500 euros d’a¬mende pour le refus de prélèvement. »

C’est à la fin de l’année dernière que Jean-Yves H. découvre toute la portée de son opposition. La police le convoque à nouveau pour un prélèvement, comme l’y autorise la loi. Nouveau refus du jeune homme, nouvelle garde à vue. Le 14 décembre, il est condamné à une nouvelle amende de 500 euros pour « refus de prélèvement ADN ».

Les opposants à l’élargissement du fichier, dont le collectif Refus ADN, dénoncent la création d’un « délit continu » et réclament une remise à plat du système, assortie d’un contrôle plus appuyé de la part de la justice

Record d’enquêtes élucidées grâce à l’ADN

MATHIEU DELAHOUSSE.

Le mois dernier, la génétique a « parlé » dans 486 enquêtes. Mais ce fichier géant suscite aussi des réserves.

IL EST sur le point d’entrer dans sa phase industrielle. Au siège de la police technique et scienti¬fique d’Écully (Rhône), toutes les données du fichier des empreintes génétiques sont accompagnées de leurs codes-barres. D’ici à quelques semaines, elles seront transmises uniquement par voie informatique. Les dossiers imprimés sur papier sont d’un autre âge pour ce supermarché des identités qui, désormais, affiche un taux de croissance extraor¬dinaire : « Cent fois plus qu’il y a cinq ans : 485 136 profils précisément », annonce Philippe Mallet qui dirige le ¬service central de l’identité judiciaire.

Gardées jusqu’à quarante ans

Aucun fichier public n’a grossi à une telle vitesse ni affiché de tels résultats : le mois dernier, les ordinateurs du FNAEG (fichier national automatisé des em¬preintes génétiques) ont comptabilisé 486 rapprochements, un « record absolu ». Cela signifie que 486 fois, une trace génétique inconnue est sortie de l’ano¬nymat. Soit qu’elle corresponde à un individu déjà fiché, soit qu’elle soit identique à à une autre trace déjà relevée sur une scène de crime ou de délit.

Le fichier ingurgite de nouvelles données. Et il se fait même machine à remonter le temps. Par exemple, le cas de cette jeune lycéenne de Villeneuve-lès-Avignon (Gard), disparue en 1987. Seul indice, une trace de sperme retrouvée sur son corps violé et transpercé d’une balle 22 long rifle. Durant dix-neuf ans, l’enquête avait stagné. Ce n’est que l’an dernier, alors que de « vieux dossiers » avaient été entrés dans le FNAEG, que grâce à l’ordinateur s’est manifestée une piste : la trace correspondait à celle d’un père de famille tout juste condamné pour coups et blessures après une altercation futile avec un automobiliste. L’homme a depuis été arrêté et mis en examen. Il nie toute responsabilité dans le terrible crime ; le seul et unique indice demeure cette trace génétique relevée il y a vingt ans. Mais cette affaire milite en faveur d’une croissance exponentielle du fichier.

« On a tous les jours ce type d’exemple, affirme le commis¬saire Philippe Mallet, bien des crimes sont résolus parce que les auteurs ont réalisé auparavant de petites infractions. » Ainsi, ma¬thématiquement, plus les relevés génétiques sont nombreux, plus le taux de recoupement est élevé. Si l’on se livre à un rapide calcul, en proportion, le FNAEG permet déjà davantage de recoupements que le bon vieux fichier des empreintes digitales, où figurent plus de 1 850 000 traces qui sont conservées au maximum dix ans.

Pour le fichier des empreintes génétiques, les données peuvent être gardées en mémoire jusqu’à quarante ans. Initialement créé en 1998 pour y collecter noms et traces génétiques des délinquants sexuels définiti¬vement condamnés, le FNAEG inclut depuis 2003 les délits de vol, d’extorsion ou encore de destruction des biens. Et les condamnés définitifs ne sont plus les seuls mis en fiche : policiers et gendarmes peuvent « prélever, analyser et faire enregistrer » le profil ADN de tout individu contre lequel il existe des « indices graves ou concordant rendant vraisemblable » qu’il ait commis ces infractions.

« Inscrire autant d’infractions dans la loi est un choix dont on n’avait au départ pas mesuré l’ampleur, constate Yann Padova, le secrétaire général de la Commission nationale de l’in¬formatique et des libertés. Ce sont les faucheurs volontaires de plants de maïs OGM qui ont amené récemment ce débat sur la place publique. Mais dès 2004, au vu du nombre d’infractions concernées, j’avais calculé que trois millions de Français pouvaient à ¬terme être inscrits dans ce fi¬chier », soit autant que les Britanniques.

« Une bombe à retardement »

Faut-il craindre cette croissance ? L’assistance du FNAEG dans les enquêtes judiciaires ne semble plus contestée par personne, mais le débat reste vif autour du fichage systématique de tout citoyen ayant commis l’un des délits concernés. « C’est une bombe à retardement, affirme l’avocat Alain Weber, spécialiste de ces questions pour la Ligue des droits de l’homme. Le fichier, à force de grandir, va montrer son absurdité. » Selon lui, « on est en train de marquer des gens au fer rouge. On risque, un jour, de laisser des gens sur le carreau parce qu’ils auront fait une bêtise des années auparavant. »

À l’appui de sa démons¬tration, la Ligue des droits de l’homme cite le précédent du STIC (Système de traitement des infractions constatées). « Plusieurs affaires ont montré que ces fichiers sont très perméables : les officiers de police judiciaire ne sont pas les seuls à y accéder, ce qui peut empêcher une personne fichée d’obtenir un emploi, dans la sécurité par exemple. »

Pour l’avenir, un magistrat affirme qu’il faut défendre l’utilité du fichier pour les enquêtes. Mais aussi savoir maîtriser sa croissance. « Il appartient aux policiers et aux gendarmes de faire preuve de discernement », glisse-t-il quand on évoque les relevés génétiques imposés à deux garçonnets surpris après un simple vol dans un supermarché.