Le procès en appel du “barbouilleur” François Vaillant, poursuivi pour refus du fichage au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg), s’est déroulé à Rouen le 17 novembre 2010 [1]. L’avocat général a réclamé 300 € d’amende, comme en première instance. Le tribunal prononcera sa décision le 12 janvier 2011.
L’audience a été dominée par le témoignage de la généticienne Catherine Bourgain qui a mis en avant la grave menace pour les libertés individuelles constituée par le fichage au Fnaeg. Il apparaît en effet de plus en plus clairement que, contrairement à ce qui a été longtemps considéré comme établi, il n’y a pas d’ADN “neutre” – plus précisément : les segments abusivement qualifiés dans la terminologie officielle de “non codants” sont liés à des caractéristiques génétiques de la personne. En conséquence de quoi, le fichage au Fnaeg enregistre des données personnelles nominatives dans le domaine de la santé dont on ne peut aujourd’hui prévoir l’usage qu’il pourra être fait à l’avenir [2].
Nous reprenons ci-dessous l’essentiel des propos tenus par Catherine Bourgain [3] lors de l’audience du 17 novembre 2010.
Voir en ligne : François Vaillant persiste à refuser son fichage au Fnaeg
La génétique humaine est une science en évolution permanente, grâce aux grands progrès réalisés sur les techniques d’observation de l’ADN. Je pense aux techniques de génie génétique développées dans les années 80. Je pense surtout aux progrès lié à l’aboutissement, en 2003, du projet international dit « Génome Humain », qui a permis de lire l’intégralité de l’ADN d’un homme.
Ces techniques ont entre autre conduit à faire voler en éclat des idées fondatrices et notamment ce que l’on a longtemps appelé le « dogme de la biologie moléculaire », construit en particulier sur la base des travaux de François Jacob et Jacques Monod. De la même façon, le concept de gène a énormément évolué. Je pense que deux généticiens ne pourraient vous en donner la même définition, tellement la liste des exceptions s’allonge.
D’une certaine façon, ces résultats n’ont rien de très étonnant. C’est de la molécule au cœur du vivant dont nous parlons. [...]
Le Fnaeg n’est pas réservé aux “violeurs”
Comme tous mes collègues généticiens, j’ai longtemps pensé que le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques, était réservé aux violeurs. Certainement à tort, je n’avais pas pris la peine de me renseigner sur son mode de fonctionnement. Les quelques procès récents pour refus de prélèvement ADN contre des syndicalistes ou des faucheurs volontaires, ont attisé ma curiosité. Je me suis donc penchée sur les modalités concrètes du fichage. Et voici ce que j’ai découvert :
Depuis 2006, pour générer un profil d’empreintes génétiques, on interroge une vingtaine de points précis de l’ADN que nous appelons dans le vocabulaire des généticiens des « marqueurs génétiques ». Ces points sont définis dans l’arrêté du 23 octobre 2006 [4]. Du point de vue génétique, ils ont été choisis pour deux raisons. Premièrement, ils sont susceptibles d’être différents d’une personne à l’autre, de sorte qu’en considérant les 20 points simultanément il est possible d’identifier exactement une personne. Deuxièmement, ils sont censés être neutres, c’est à dire, ne pas permettre de remonter à des caractéristiques individuelles des personnes. J’ai compris que dans le langage juridique, on parle de séquence non codante. Je tiens juste à préciser que ce terme a un sens plus spécifique pour les généticiens, qui peut certainement être source de confusion. Ces marqueurs ne doivent servir qu’à identifier une personne et rien d’autre.
Les marqueurs ne sont pas neutres
Mais comme je vous l’ai dit en génétique humaine, ce qui est vrai un jour peut-être faux le lendemain.
Je me suis donc penchée sur la liste de ces marqueurs dits neutres ou non codants pour voir s’ils l’étaient encore aujourd’hui. Pour ce faire, j’ai simplement interrogé les bases de données librement accessibles sur Internet. Le premier de la liste s’appelle D3S1358. Il est situé sur le chromosome numéro 3, et plus précisément dans un gène appelé LARS2. Quelques publications ont récemment suggéré que ce gène pourrait être un facteur de risque pour le diabète de type II. Mais ces résultats sont encore soumis à controverse.
Le marqueur D18S51 est lui situé sur le chromosome 18, à proximité du gène BCL2. Le gène BCL2 est impliqué dans certaines formes de lymphomes.
Enfin, le marqueur D2S1338 est un cas particulièrement éloquent. L’arrêté précise que l’interrogation de ce marqueur, situé sur le chromosome numéro 2, est facultative.
En croisant les informations sur ce marqueur, je suis tombée sur des travaux réalisés par des collègues italiens travaillant à l’Institut TIGEM de Naples, financé par le Téléthon italien. Il se trouve que je connais personnellement certains des auteurs de ce travail, en particulier le Professeur Paolo Gasparini, avec lesquels j’ai été amenée à collaborer sur d’autres sujets. Ces travaux ont été publiés dans le journal de la société Européenne de Génétique Humaine. Ces chercheurs ont étudié une famille de Lille dans laquelle se transmet un dysfonctionnement très spécifique des globules rouges qu’on appelle la pseudokaliémie. Ils ont montré que le marqueur D2S1338 était le point de l’ADN qui permet le mieux de déterminer qui dans cette famille est atteint de pseudokaliémie, et qui ne l’est pas.
Il n’ a pas d’ADN neutre
Vous conviendrez avec moi que ces éléments sont de nature à jeter le doute sur la neutralité des marqueurs utilisés pour réaliser les empreintes génétiques.
Ils ne sont pas surprenants. Ils illustrent ce que tous les généticiens savent depuis plus de 10 ans. Il n’y a pas d’ADN neutre. Il y a juste des régions de l’ADN dont nous ne comprenons pas encore la fonction. La distinction entre séquences codantes / séquences non codantes correspond à la vision de l’ADN qu’avaient les chercheurs à l’époque de Jacob et Monod, lorsqu’ils ont inventé le « dogme de la biologie moléculaire ». Les bases scientifiques de cette distinction s’effritent chaque jour un peu plus.
Ces quelques éléments devraient, il me semble, nous pousser à réinterroger la solidité des garanties liées au FNAEG.
Pour terminer, je voulais porter à votre connaissance un résultat obtenu en 2008 par une équipe de collègues australiens et publiés dans le prestigieux journal de la société américaine de génétique humaine. Ces collègues se sont intéressés au lien entre ADN et couleurs des yeux. Ils se sont plus précisément focalisés sur la distinction yeux bleus/yeux marrons. Dans leur échantillon, ils ont trouvé une séquence d’ADN qui n’est jamais présente chez les personnes qui ont les yeux marrons mais qui est très souvent présente chez celles qui ont les yeux bleus. Autrement dit, cette séquence permet dans cette population de savoir avec une grande probabilité si la personne a les yeux bleus. Or il se trouve que cette séquence était jusqu’à présent totalement considérée comme « non codante ».
Questions de l’avocat durant l’audience à Catherine Bourgain :
* Confirmez-vous qu’il est possible d’obtenir des informations à partir de l’empreinte génétique de François Vaillant ?
Comme je l’ai dit dans mon témoignage, les marqueurs présents sont susceptibles d’apporter une information. Mineure pour l’instant. Je n’ai pu que faire état de « rapides recherches sur les bases de données internet ». Je n’ai pas moi-même eu ce genre de données entre les mains. Mais rien ne me permet d’exclure qu’on puisse d’ores et déjà obtenir d’autres informations que celles dont j’ai parlées. Par ailleurs, il est possible que d’ici quelques temps, on arrive à rendre ces marqueurs plus « bavards » qu’ils ne le sont aujourd’hui.
* Dans un proche futur que pensez-vous qu’il sera possible de faire avec les empreintes ?
Le nombre de marqueurs utilisés pour les empreintes a déjà évolué. Alors qu’on interrogeait 7 marqueurs avant 2006, ce sont désormais plus d’une vingtaine qui le sont aujourd’hui. Avec les chutes drastiques de coût d’interrogation de l’ADN, et les équipements déjà disponibles dans les laboratoires d’analyse, il est tout à fait envisageable que l’on interroge aussi facilement 500 000 voire 1 millions de marqueurs différents. C’est déjà une pratique de routine en recherche. Avec autant de marqueurs, il serait alors facile de déterminer l’origine géographique des personnes, leur couleur de peau, des yeux, type de cheveux, s’ils éternuent au soleil...
Catherine Bourgain
Notes
[1] Pour en savoir plus sur François Vaillant : http://www.lesinrocks.com/actualite...
[2] Rappelons que la loi du 6 janvier 1978 dite informatique et libertés a été modifiée au cours de l’année 2004. La nouvelle version de l’article 6 de la loi de 1978 a ouvert la possibilité pour les chercheurs et les statisticiens d’utiliser des données personnelles, y compris nominatives, initialement collectées à des fins autres que statistiques ou de recherche scientifique ou historique. (Voir http://insee.fr/fr/ffc/docs_ffc/cs1... )
[3] Catherine Bourgain, agrégée en sciences de la vie et de la terre et docteur en génétique humaine et statistiques, est chargée de recherche à l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (Inserm). Elle est spécialisée dans l’étude génétique des populations humaines et des liens entre génétique et maladies.
[4] Référence : http://www.legifrance.gouv.fr/affic...